Variable, utilisé pour qualifier ce qui est mouvant, pouvant changer au fil des circonstances, l'inverse de constant, un mot multilingue, multicontexte, polysémique (avec entre autres un sens précis en informatique)... bref un mot qui nourrit le projet du laboratoire FLOSS initié par Constant (le collectif) en 2011 pour 3 ans.

Ce texte n'a pas pour objet de mythologiser Variable, ni de modéliser un laboratoire FLOSS à partir de l'expérience des 3 ans rue Gallait. Il pose une série de questions : comment peut-on travailler collectivement, sans que le résultat du travail soit nécessairement collectif ? Comment sont transmis les savoirs situés dans un lieu partagé où la pratique des logiciels libres est centrale ? Comment pratiques et savoirs sont engagés dans un espace collectif à la fois physique et de données ?  

Variable a pour caractéristique d'être un lieu ouvert et partagé qui est à la fois un espace de vie et de travail. En cela, il se différencie d'autres types de lieux crées, utilisés et partagés par des artistes et/ou des praticiens de l'informatique et des logiciels FLOSS tels qu'un atelier personnel qui peut être ouvert à d'autres selon certaines modalités, ou bien un hackerspace ou fablab où les outils sont de potentiels vecteurs d'échange de savoirs et savoir-faire. Ce n'est pas non plus une institution, basée sur un programme défini à l'avance à partir d'un certain nombre d'éléments. Variable n'est pas non plus une auto-institution, mais peut être envisagé comme un auto-organisme, ni individuel, ni collectif, en constante évolution, suivant les personnes qui le traversent et la façon dont elles le font, pour une heure ou trois ans. Variable fait apparaître des cercles de proximité, autour de Constant, autour des outils (à la fois conceptuels et technologiques) associés aux logiciels libres et à ses différents enjeux autant artistiques que politiques. Des signaux, autant analogiques que numériques, sont émis depuis Variable, ce qui entraîne de nombreuses résonances, à Bruxelles et ailleurs. La pollinisation croisée est ainsi possible grâce à la friction des idées, des codes, des champs d'investigation.  

L'espace est géré de façon collaborative par ses usagers réguliers, et ce même si Constant en tant qu'organisation a initié le projet par sa candidature et porte le suivi administratif au quotidien. Variable est un territoire partagé (au sens presque éthologique), qui est à la fois suffisamment structuré pour être investi par différents modes et temporalités de rencontre, de travail, de conversation, et suffisamment temporaire pour inviter l'évolution, la transformation. Ce lieu est propice à la saisie de l'occasion de faire (à la façon du kairos des anciens grecs), dans une tactique de pratique du lieu qui déjoue les stratégies de moyen ou long terme, et les formes de capitalisation. Cela n'a pas empêché qu'une structure de l'espace et des tâches nécessaires à son bon fonctionnement se mette en place. Les règles qui sous-tendent les activités du lieu, les décisions prises en commun sont rendues lisibles, relayées (par la prise de notes en ligne publiées sur différentes plateformes accessibles aux usagers : liste de discussion, wiki, etherpad...).  

L'architecture de la maison modèle l'occupation de l'espace et les activités qui sont assignées par et pour les différents usagers. Variable est une maison de maître, avec des espaces ouverts (le rez-de-chaussée avec des pièces qui peuvent éventuellement être fermées, un accès à un jardin/cour, la place centrale qu'occupe la cuisine), et d'autres fermés (anciennement des chambres et autres pièces privatives, actuellement des espaces dédiés à différentes pratiques artisitiques et/ou collectifs et un espace de vie et de travail pour les résidents). Cette échelle de la maison influe sur la fréquentation de Variable. L'espace permet d'accueillir des sessions de travail plus grandes, avec des sessions en parallèle, comme pour Relearn Summerschool, ou le Co-position meeting, mais seulement ponctuellement. Est-ce que cela amène d'autres formes de travail que des espaces plus grands et/ou plus modulaires (comme des espaces de type "loft", friche industrielle ou bureaux abandonnés traditionnellement associés aux artistes, bricodeurs et designers) ? 

Un axiome sur le libre et l'open source est que par défaut il y a collaboration,  une production commune, et que, dans un lieu qui lui serait dédié, la collaboration serait intrinsèque. La différence entre cet axiome devenu cliché et le projet de Variable est que dans le cas de la maison rue Gallait les tensions ne sont pas évacuées : elles sont nommées, étudiées, résorbées quelquefois, et servent de point de départ plus ou moins directement à des expérimentations et recherches. Le travail collaboratif avec les outils numériques en réseau liés au logiciel libre et sa critique que les habitants-habitués de Variable et leurs correspondants pratiquent et théorisent sous de nombreux modes n'est pas sans lien avec ce qui s'expérimente dans le quotidien d'un espace de travail partagé.   
        
La question de l'apprentissage est particulièrement liée à la fois aux pratiques artistiques, à celles du libre et à leurs nombreux croisements : comment apprend-on avec d'autres hors du modèle de l'école ou d'une pratique seulement autodidacte ? Variable ne se se présente pas en tant que structure pédagogique, comme une contre- ou auto-université indépendante (à la suite par exemple de projets initiés par des artistes comme la Copenhagen Free University ou l'University of Openess). De nombreux usagers de Variable sont toutefois enseignants ou étudiants dans des structures traditionnelles de transmission de l'art, du design... Des modes d'apprentissage collectifs et coopératifs sont expérimentés dans différents contextes. Apprendre et échanger est une fin en soi pour une rencontre, un workshop (ponctuel ou régulier comme pour les rencontres autour de logiciels comme Pure Data ou Blender). Mais l'apprentissage peut être intégré aussi à la production collective, au sein de groupes qui travaillent régulièrement ensemble comme Open Source Publishing. Dans tous ces cas de figures, c'est un savoir situé qui est produit. 

L'enjeu n'est pas la maîtrise d'une notion, d'un logiciel ou d'un processus, mais d'identifier ou de générer des situations où ces éléments sont mis en jeu et en action. Certaines situations permettent une formalisation de la réflexion pédagogique à l'œuvre à Variable : c'est le cas par exemple des deux sessions de la Relearn summerschool (en 2013 et en 2014) où les participants sont invités à changer de rôle, tant enseignant, tantôt enseigné, au cours de plusieurs jours de travail en groupe (avec des groupes qui sont encouragés à changer régulièrement), faisant évoluer des situations de recherche et de production, croisant différents champs, techniques et savoir-faire.  
  
Les différentes pratiques qui se déroulent à Variable s'hybrident, se créolisent par le frottement entre elles, même si elles semblent être en parallèle. Elles ne se confondent pas, leurs spécificités étant source de richesse. Des moments transversaux comme les rencontres LOOP permettent la création de ponts, d'ouverture vers d'autres questions, d'autres complexités.

Variable engage également une position critique vis-à-vis d'injonctions de travail collaboratif issues des pratiques du FLOSS mais aussi de contextes d'éducation féministe et/ou libertaire, et qui sont récupérées par le système éducatif néo-libéral. Les tensions entre les aspects progressistes et répressifs du travail en équipe, de l'horizontalité, de l'autogestion, etc, sont mises en lumière et interrogées collectivement. L'utilisation du logiciel de gestion de versions décentralisé Git, conçu à l'origine pour le développement à plusieurs du noyau du système d'exploitation Linux, est un bon exemple de travail d'expérimentation et de critique : il est utilisé largement par les usagers de Variable pour travailler ensemble sur le même code, le même texte, la même image, mais en parallèle son fonctionnement est disséqué (par exemple en ce qui concerne la résolution de conflits causées par différentes interventions sur un fichier), ses contradictions révélées et poussées au maximum. Les relations sociales implicites que Git génère deviennent explicites. Tout cela est également traduit dans d'autres contextes et interrogés depuis ces autres champs et situations.

L'exemple de Git permet aussi d'interroger les formes de travail en commun dans un même espace physique tout en engageant en parallèle des espaces collectifs en réseau. Ce qui est produit l'est dans un triangle entre la discussion collective, les ordinateurs personnels des participants et les échanges de données en réseau local ou vers un serveur hébergé à l'extérieur, via l'internet.  

La maison n'est pas ni un miroir, ni une vitrine des activités du serveur de Constant, et elle n'en est pas non plus la projection spatiale. De même, les formes numériques des activités de Variable sont éclatées dans différents serveurs, plateformes, projets. Les espaces numériques communs des usagers que sont la liste de discussion (appellée House), le wiki de Variable, sont appropriées diversement au fil du temps (la liste de discussion semble prépondérante), et survivront, ou non, à la fermeture de Variable. D'ailleurs, celle-ci n'accueille pas de serveur local commun, qui porterait peut-être en retour d'autres usages du lieu, d'autres échanges.